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Carte blanche à Tanguy Dohollau (dessinateur)

1er mars 2014

Un texte inédit accompagné de l’illustration "Le Bateau livre".

Carte blanche à Tanguy Dohollau (dessinateur)


Ces années là, tout le monde utilisait des outils technologiques sophistiqués. Chacun y était relié en permanence ; yeux rivés à un écran et écouteurs dans les oreilles.
Un jour, il y eut une panne générale. Cela peut paraître incroyable pourtant ce fut bien le cas. À l’instant même, n’y eut plus qu’un immense étonnement et toutes les personnes relevèrent d’un seul coup leurs têtes des écrans et enlevèrent leurs oreillettes. Dans les rues et les véhicules, c’était drôle de voir les gens s’interroger du regard. La cause ? Plus d’énergie artificielle suffisante. Résumons, car c’était un imbroglio très compliqué. Les jours et les mois passèrent. La panne s’avérait définitive. L’ennui s’installa. Il fallait trouver des substituts. Les gens se mettaient à parler entre eux. Quelqu’un dit : "Avant, il y avait des livres". Des livres ? Voilà bien longtemps que l’on en avait pas vus. Ils avaient disparu ; relégués on ne sait plus où.


Dans un grenier, gisant, on en trouva un.


Ramassé, il se retrouva sur une table, entouré par plusieurs personnes à l’instar de La leçon d’anatomie de Rembrandt. Ausculté, il fut traité de poussiéreux, sale, usé, voire, porteur d’une ou de plusieurs maladies contagieuses. Mais Sophie se décida à l’ouvrir. Odeur du papier. Toucher des pages. Encre. Caractères. Présence. Sensations subtiles qui remontaient en sa mémoire. Isabelle lui demanda de lire.




Cela fait très longtemps que Sophie n’a pas lu à haute voix et elle réalise que ça fait longtemps aussi qu’elle n’a tout simplement pas lu un livre. Malgré tout, elle se lance :


"Il était une fois, un petit garçon qui attendait les jours de pluie avec impatience. Plus il pleuvait, plus il souriait. Il partait alors bien avant l’heure en direction de l’école ou, s’il n’y en avait pas, il disait qu’il allait retrouver..." Sophie s’éclaircit la voix. Brindilles de mots en suspens.
"... ses copains. Avant de sortir, il mettait toujours son ciré jaune et le couvre-chef qui allait avec ; jaune également. Et dans sa poche, il y avait son bateau. Il ne l’oubliait pas, car c’était là son plaisir.


Étincelles sur le lagon. Son navire vogue un moment sur le miroir de la mer. Plus tard, La brise frise son étain. Et puis, elle se met à bouillonner. La lune se balance vivement dans les haubans de son vaisseau au cœur de l’Atlantique. Les flots tumultueux emportent son voilier. Le vent a forci. Il met à la cape. Il est maintenant dans un port. Il aime les digues, les jetées, les môles avec leurs musoirs. Il regarde les pavillons et les noms des navires. Ils avancent majestueusement sur leur erre, et puis stoppent. Les ancres sont mouillées. Les chaloupes sont descendues le long des lisses. Des marins arpentent les quais en parlant des langages étranges. L’un d’eux a le visage tatoué. Il est torse nu et brandit un harpon. On le hèle. Oui, c’est au petit garçon que s’adresse un capitaine. "Tu peux venir à bord, le mousse." Et c’est le départ. La sortie du port peu à peu, et la côte qui s’estompe au delà des vagues. À l’horizon, un trait de lumière.


Des jours ont passé. Je suis au milieu de l’Océan. Des baleines soulèvent la surface de l’eau paisiblement, sans provoquer de remous. L’eau glisse sur leurs dos luisants. Perles dorées sur leurs peaux. Je les regarde du plat-bord. J’entends leurs voix. Je leur réponds en pensée. Je dialogue avec elles tout ce temps où elles accompagnent le bateau. Elles sont si légères et dansantes. Et puis, les baleines s’éloignent. L’une d’elles sonde et je vois les ailerons de sa queue un instant me saluer telle une main. La mer est à nouveau étale. Le petit garçon se retourne. Une fille de son âge se tient derrière lui. Elle est penchée au-dessus de son épaule. Il sort son bateau de l’eau et le prend dans la main. C’est un morceau de crayon. Il l’essuie avec le bas de son pull. "Moi aussi j’ai un bateau" et elle lui montre un autre crayon coloré." Sophie referme le livre. Entre-temps, plusieurs personnes sont venues rejoindre la table pour l’écouter. Pas un bruit. Et puis, c’est Jean qui rompt le silence : "C’est fini ? Et la suite ?"


"Demain, je continuerai ma lecture. On se retrouve vers la même heure ?" "D’accord, j’amènerai un gâteau", dit Sylvie. "Et moi, une bouteille", ajoute André. "Si tu veux, je pourrai lire aussi."


Tanguy Dohollau
Il considère le dessin comme son deuxième langage. Depuis plus de 30 ans, ses illustrations accompagnent les textes d’auteurs tels que Achmy Halley, Zbigniew Herbert, Jacques Josse... Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages : La Diagonale des jours (correspondance dessinée avec Edmond Baudoin, éditions Apogée), Par les grèves (éditions Apogée), Pas à pas, à l’écoute du silence (éditions Des ronds dans l’O)... Ses réalisations graphiques sont présentées en France et à l’étranger depuis 1976. Il organise aussi des expositions consacrées à des écrivains (Jean Grenier, Jean-Marie Le Clézio, Heather Dohollau, Lorand Gaspar, Marguerite Yourcenar, Jean-Pierre Abraham)... L’exposition sur Jean-Pierre Abraham est visible ce mois-ci aux Escales de Binic.

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