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Modes & travaux
« Jean ? Jean-Phi ? Jean ? Jean ? Une p’tite quille ? », c’est ainsi que s’ouvre l’improbable Les Aléas du vin naturel, titre présent sur le premier EP de Dalle Béton. Le groupe a récemment signé chez Crème Brûlée records, label costarmoricain effronté et tête chercheuse aux idées larges.
Lorsque débute l’entretien téléphonique, on imagine les trois membres du groupe installés sur un touret de câbles oranges entre un Algeco et un pack de 33 Export éventré. Gilets jaunes, casques blancs et discours bien à côté de la dalle plantent d’emblée le décor. « Le plus important pour nous c’est le chantier. Quand on aura réussi à amasser assez de fonds grâce aux concerts, on pourra investir dans une camionnette, une petite remorque et une bétonnière… ». À l’image de cette entrée en matière scabreuse, Comment réussir sa terrasse ? déroule un concept absurde, un brin fumiste et pourtant maîtrisé (voir notre chronique disque).
Aux habituelles questions cherchant à présenter chaque membre du groupe, ils répondent par une pirouette potache : « On s’est rencontrés en CAP Métiers du Bâtiment. Adrien est spécialisé dans le sable, Théo dans le gravier et Erwann dans tout ce qui est ciment et temps de séchage. » Voilà, voilà. Mais plus qu’une posture cherchant à torpiller l’interview, Dalle Béton pousse le vice du concept turbo-cinglé jusque sur la scène. « En fait nous les musiciens, nous sommes juste le backing-band. Le vrai spectacle, celui sur lequel on braque les lumières c’est ce que fait Arthur (absent lors de l’échange NDLR). Nous on est juste là pour faire la bande-son pendant qu’il coule une dalle en béton sur le lieu du concert. Ça prend environ quarante minutes, séchage compris ». D’ailleurs, lorsque le groupe évoque la scène, c’est le terme de « performance » qu’il utilise et non celui de « concert ». Nous y voilà. Si le vernis absurde recouvre l’ensemble des titres du groupe jusqu’à leur discours promotionnel, lorsqu’il se craquèle, Dalle Béton montre un visage autrement plus intéressant que la simple blague qui tire en longueur.
Tout au long de ses morceaux, la formation jette un regard sans pitié sur les manifestations les plus agaçantes du monde actuel. Discours abrutissant et généralisé sur le vin naturel, singeries médiatiques autour de l’alarmante (et réelle) situation dans le système hospitalier français, navrantes innovations en mode éco-social washing dont on nous rabat les oreilles à longueur d’antenne, Dalle Béton aime à « mettre les pieds dans le plat » comme ils le déclarent eux-mêmes. Un discours poil à gratter d’autant plus recevable que certains d’entre eux sortent d’école de commerce et que tous, se revendiquent fans de vin naturel… Leur EP est d’ailleurs sorti sous un format plutôt étrange puisque le groupe a confié à un producteur de vin nat’ comme on dit, le choix d’une cuvée Dalle Béton dont l’étiquette comporte un QR code donnant accès au disque… Autodérision à 12,5° donc.
Au-delà de cet amateurisme de façade et de la spontanéité qui ressort des titres (même les fausses notes des prises studio figurent sur les morceaux), Dalle Béton excite par l’aspect totalement punk de sa démarche entre art brut de garage et transe électrique sans complexe plaçant leur musique quelque part entre les Béruriers Noir, The Cramps et Suicide. Une large goulée de fraîcheur dans un panorama musical français trop souvent engoncé dans les conventions marketing et la bien-pensance.
Dalle Béton sera présent dans le cadre de ArtBist’Rock le 5 juin à 19h au Bistrot de la Poste à Saint-Brieuc.