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On y était : La Nuit du cirque 100% féminine à Lannion
Sur une initiative de l’association Territoire de Cirque, ce vendredi 15 novembre, le Carré Magique de Lannion inaugurait une première Nuit du cirque, évènement à la fois fondateur et militant. L’enjeu, partagé par une soixantaine de salles en France, étant de faire découvrir un cirque protéiforme, plus que jamais actuel et capable de s’emparer de tous les sujets. Le Carré donne le "la" en proposant une soirée 100% féminine, au propos universel.
Au programme, deux artistes qui s’accordent ce soir sur le papier pour leur sens de l’épure, de la sobriété scénique.
Raphaëlle Boitelle d’abord, metteuse en scène, chorégraphe, interprète. Créatrice de la compagnie L’Oubliée. Un parcours riche de trente ans distillé cette nuit en trente minutes. Trente courtes minutes de tension, de contorsions, de verticalité et de spirales, magnifiées par la lumière de Tristan Baudoin. Au beau milieu, un escalier magique se plie ou se déploie, selon les gestes, le poids de la chorégraphe, offrant aux spectateurs des paliers de curiosité et d’émerveillement. Le tout, soutenu par une musique puissante, baroque, parfois solennelle. Raphaëlle Boitelle incarne cette Bête noire au dos d’albâtre, se jouant de fumées, de hauteurs, de profondeurs, interrogeant la pesanteur. Et dans ces mouvements, notre propre équilibre.
La transition est toute trouvée. Laura Murphy entre. Aussi nue que la scène. Juste une corde, un corps pour décor. Changement de ton : cette fois la poésie se mêle au trivial, le corps au verbe. L’espace d’une heure, elle déshabille la parole, normalise une nudité plus digne que certains mots, bascule entre inventaire anatomique et corde acrobatique. L’érogène disparait dans un propos radical, courageux. Le pêché originel, une pomme croquée façon ASMR, la respiration. Du corps nu à celui plastiqué, interdit, érotisme à l’envers. Du jardin d’Eden à Ed Sheeran, Laura Murphy questionne intelligemment et avec humour le journal d’un corps sans tabou, imparfait, mais toujours révélateur, disant autre chose, disant que le corps est un discours, un préalable utile ou malheureux. « I’m in love with the shape of you ». C’est sur ce « tube » que Laura viendra se faire applaudir, habillée puis nue. Comme un dernier clin d’oeil complice. Puisque tout le monde a compris.
Salle comble, tout âge confondu, dont des circassiens du lycée Savina en démonstration à l’entracte. Le Carré Magique semble avoir réussi son pari d’une première nuit du cirque fédératrice. A suivre.
- Johann Bourgès
Photo : Contra - Laura Murphy © Darko Skrobonja