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Carte blanche à Erik Marchand
N’importe où mais maintenant
Qu’est ce qui peut amener un musicien à créer une école ?
Le souvenir de ce qu’il a appris, de comment il a appris, et la volonté de rendre hommage à ceux qui lui ont appris, avec tant de patience et de désintéressement.
Et comment le faire ?
Avec l’association Drom, nous avons créé Kreiz Breizh Akademi, où l’on propose d’abandonner (rassurez-vous, provisoirement) le noir et le blanc des 12 demi-tons du clavier occidental, pour jouer et chanter comme les vieux ruraux si souvent présentés comme incultes, mais aussi pour souligner que leur art peut se rapprocher de celui d’autres continents musicaux. Il est merveilleux de découvrir que des pensées musicales savantes d’Orient peuvent aider à décrire les lignes musicales des gwerzioù et du kan ha diskan.
Nous avons voulu faire gagner un peu de temps à des musiciens occidentaux pour accéder à l’entendement modal ; et pourtant qu’elle est lente la construction d’une pensée musicale ! Notre plus gros challenge aujourd’hui, dans ce qui est devenu un "cursus diplômant", est de conserver la poésie des musiques populaires et les émotions formatrices :
Entendre la zurla qui s’approche tant et tant qu’elle vous pénètre le cerveau à vous en arracher des larmes de bonheur.
Déceler le mouvement imperceptible du corps qui bascule sur la chaise dans un subtil déséquilibre, de la main qui se pose sur une épaule. Et enfin, entendre le son des voix qui remplit doucement ce qui, quelques secondes avant, était peut-être du silence.
Saluer l’orgueil des vieux gogolani, paysans de la montagne, cassés par le travail qui un soir de noce crient "plus vite !" aux maîtres sonneurs tsiganes qui conduisent déjà le tempo du joc de doi comme une formule 1.
Chanter la danse, laisser la voix monter pour électriser les danseurs dont les cris rares soulignent subtilement la percussion répétitive des pas.
Ne jamais sourire quand une petite dame en noir entame son chant seule d’une voix juste et sûre et ordonne dans le silence respectueux qui succède à sa saillie : "répondez !" (avec le bel r roulé "qui va bien").
Toujours être attiré par la puissance du son d’un orchestre de turbo-folk jaillissant d’un bar serbe et qui vous entraîne déjà vers la démesure.
Rester sensible à cette note de la doina ou du taksim qui vient chercher dans votre corps et votre cœur, juste, précisément, ce qu’il fallait à ce moment pour que le noir du monde se transforme en lumière, celle-là dont vous aviez besoin.
Ne jamais oublier un orchestre à vent qui marche dans la neige épaisse du village de Brebu et qui mène déjà le cortège de mes noces avec le Banat.
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Erik Marchand, chanteur, a appris la musique au contact de maîtres de Basse Bretagne dont, en premier lieu, Manuel Kerjean. De par une transmission atypique d’une musique populaire où les choses se volent plus qu’elles s’enseignent, il s’interroge très tôt sur la pédagogie des musiques de traditions orales. Grand voyageur, il découvre que la pensée musicale proposée par son maître se retrouve, soit socialement, soit musicologiquement, dans bien d’autres régions du Monde. Il utilisera cette réalité dans de nombreuses collaborations avec des musiciens de culture orientale, d’Europe méridionale mais aussi du jazz, du blues ou des musiques anciennes. Au début des années 2000, il crée Kreiz Breizh Akademi afin de transmettre "l’entendement modal" en s’appuyant sur la musique bretonne.
Les "Collectifs" de KBA interprètent des répertoires spécifiques de Basse Bretagne avec une couleur musicale particulière pour chacun d’entre eux.
La KBA#6, nommée "Pobl ‘b’ar Machin[e]" (du peuple dans la machine) est "électro". Découvrez-là sur scène prochainement :
Le 4 mai 2017 à 21h à La Carène à Brest (sortie de résidence)
Le 10 mai 2017 à 20h à L’Antipode à Rennes (sortie de résidence)
Premier concert officiel le 26 mai 2017 à Langonnet dans le cadre du festival Couleurs du Monde.
A ne pas manquer également le 26 mai, dans le cadre du festival Couleurs du Monde, le concert de Before Bach (Rodolphe Burger, Mehdi Haddab, Erik Marchand).
Erik Marchand et les musiciens de la KBA#6 © Eric Legret
En haut de page : portrait d’Erik Marchand © Eric Legret