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C’est arrivé près de chez vous

8 janvier 2024

Enquête sur le polar breton

C’est arrivé près de chez vous


Du rififi à Saint-Brevin, Usage de faux à Saint-Malo, Faits divers à Riec-sur-Bélon ; on a tous croisé ces romans à la Maison de la presse ou au Relay de la gare du coin. Issu d’un genre qui a vu le jour dans les années 90, le polar régional est un sous-genre bien de chez nous du roman policier. Une littérature noire locale donc, qui semble fonctionner en Bretagne mieux que partout ailleurs. Et pourquoi pas ? Ne dit-on pas que plus une nouvelle affreuse se passe près de chez nous, plus elle nous touche ? Des noyés, des disparus, des arnaques, des mafieux, des meurtriers et même des loups-garous, le polar régional de Bretagne, ce sont plusieurs centaines d’œuvres pour plus de 360 000 exemplaires vendus par an. Plongée dans l’univers de ces Simenon 100% beurre salé.


Snobé par la presse nationale et par un monde littéraire supposé parisien, le polar du terroir est pourtant un genre qui se vend. « Ça se vend même très bien » affirme un employé de l’espace culturel du Leclerc de Plérin, « quand une nouveauté sort, on la commande par blocs d’une centaine ». Et le rayonnage ne semble pas contredire le vendeur, qui s’avoue lecteur du genre : un linéaire entier de polars régionaux trône au milieu de l’espace culturel, agrémenté de deux présentoirs placés à des endroits stratégiques. De leur côté, les maisons d’éditions locales aussi font état de bonnes ventes : plus de 160 000 exemplaires vendus par an pour les éditions Alain Bargain et plus de 300 000 chez leur principal concurrent : les éditions du Palémon.
Si ces chiffres semblent nuancés par des ventes plus timides dans les librairies indépendantes, Carl Bargain, directeur des éditions Alain Bargain l’explique facilement : « Nous vendons beaucoup dans les grandes et moyennes surfaces, ainsi que dans les Maisons de la presse. Nous avons aussi beaucoup développé l’offre de commandes en ligne et d’E-book pendant la période du Covid. » Interrogé, un acteur important de la scène littéraire complète : « Certaines maisons d’éditions se placent elles-mêmes en dehors du circuit du livre. En choisissant d’aller déposer leurs livres dans les tabacs et les maisons de la presse, elles développent un autre réseau dont les librairies ne font pas partie. »
Enfin, lorsque nous avons voulu emprunter quelques ouvrages en médiathèque, nous nous sommes retrouvés sur liste d’attente faute d’exemplaires disponibles, prouvant s’il en était encore besoin que le roman policier régional est un genre qui, en plus de se vendre, se lit.


Faux polar ou vraie carte postale ?
Apparu dans les années 90, le polar du terroir tient plus de la tendance éditoriale que du mouvement littéraire comme l’affirme Delphine Hamon, directrice des éditions du Palémon : « Un roman se passe toujours quelque part. Les polars régionaux ne sont pas si différents des polars nationaux ou internationaux. » Même son de cloche pour Jean Failler, l’initiateur du genre et créateur des éditions Palémon : « Je suis un grand lecteur de polar, c’est ce qui m’a poussé à écrire un roman policier. J’ai installé mon histoire en Bretagne parce que je me sens viscéralement breton et que j’aime parler de ce que je connais. » Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’auteur de la célèbre saga Mary Lester n’avait donc pas dans l’idée de promouvoir sa région quand il a commencé à écrire. « Nous faisons apparaître les lieux concernés dans le titre ou dans le visuel », détaille Delphine Hamon, « mais c’est important pour nous que nos lecteurs hors Bretagne ne soient pas refroidis par la couleur locale ».
Si les éditions du Palémon font ce choix, c’est aussi pour se démarquer de leurs principaux concurrents à la patte si reconnaissable. Titre mentionnant la ville où se situe l’action, couverture aux allures de carte postale, Carl Bargain a donné à sa maison une ligne éditoriale très claire : « Il faut qu’il y ait une intrigue, quelle qu’elle soit (meurtre, malversations, enlèvement, etc…) et que l’aventure se déroule sur le territoire régional. » Le directeur insiste : un inspecteur d’origine bretonne qui enquête à l’international ou, pire, à Paris, ça ne passe pas. Cette politique très stricte rend les romans des éditions Alain Bargain très identifiables en rayon. « Je pense que nous sommes parmi les seuls à être aussi investis dans ce genre en France : nous ne faisons que du polar régional », affirme son directeur. Et côté qualités littéraires alors qu’est ce que ça donne ? Interrogées sur le sujet, plusieurs de nos sources dressent un tableau contrasté. En clair, le rythme des sorties aurait parfois tendance à privilégier la quantité à la qualité, ce qui n’empêcherait pas certains titres de sortir clairement du lot à l’image de la saga Mary Lester ou des romans d’Alain Emery.


Des lecteurs (presque) tous récidivistes
Comme l’explique Carl Bargain, le polar du terroir est une littérature « qui génère des habitudes
d’achat ». D’abord parce que de nombreux auteurs réutilisent le même personnage d’enquêteur ou d’enquêtrice et finissent par bâtir
des sagas. C’est le cas de Jean Failler, l’auteur des Enquêtes de Mary Lester. « Les lecteurs attendent plus ou moins patiemment les nouvelles aventures de Mary Lester… », plaisante-t-il, « à chaque salon où je vais signer mes livres, on me demande quand sortira le prochain ». Un fonctionnement similaire à celui des feuilletons donc, qui s’explique aussi par la productivité des auteurs et des éditeurs. Les éditions du Palémon affirment sortir quatre romans par trimestre, soit 16 par an. « Environ 70% d’entre eux sont des Mary Lester » affirme Jean Failler. Du côté Bargain, on parle de deux livres par mois, dix mois par an. Avec une écurie d’une vingtaine d’écrivains, cela revient à un à deux livres par auteur, par année. Un tel rythme questionne. Un auteur, une autrice, ont-ils le temps de fournir un travail de qualité lorsqu’ils doivent produire autant… ? « Malheureusement l’édition, qu’elle soit régionale ou nationale, fonctionne de plus en plus sur ce genre de modèle », détaille un acteur de la littérature des Côtes-d’Armor, « les logiques commerciales imposent des sorties très cadencées ». Une stratégie totalement assumée afin de fidéliser les clients explique Carl Bargain, « chacun a son auteur, sa saga favorite. Il y a même un public de collectionneurs ! ».
Cette littérature d’adeptes n’est pas l’apanage d’un lectorat local, en témoigne le pic de ventes à la belle saison. Dans les librairies indépendantes, c’est même parfois le seul moment de l’année où les polars régionaux se vendent. « … Entre les locaux expatriés et les
touristes tombés amoureux de la région, il y a des gens attachés à la Bretagne partout en France » explique Delphine Hamon.


Le frisson du réalisme
D’après les lecteurs du genre, ce qui les attire c’est la sensation de réalisme que les histoires dégagent. Réalisme nécessairement servi par la proximité des lieux, mais aussi par une culture de la description. Campagnes, centres-villes et petits bleds perdus sont dépeints avec un sens du détail qui ne peut que ravir touristes et locaux, trop contents de reconnaître la place où ils font leur marché, l’église qu’ils ont visitée, le parc où ils se promènent.
À la lecture, on remarque aussi une récurrence de la description exacte de l’appareil judiciaire, ainsi que de la vie économique locale. On peut citer par exemple les nombreuses intrigues se déroulant au sein de coopératives agricoles. D’ailleurs, l’auteur et éditeur Jean Failler admet s’inspirer régulièrement de faits divers ou d’histoires de police racontées par des contacts dans les forces de l’ordre.
Bien que tous les Mary Lester s’ouvrent sur un disclaimer précisant que « …toute ressemblance avec des personnes ou des situations ayant existé ne saurait être que le fruit du hasard », on peut supposer qu’une ambiguïté subsiste quant à la réalité des histoires relatées. Alors, le plaisir du polar du terroir pourrait être à rapprocher du plaisir des récits « tirés d’histoires vraies ». Une espèce de voyeurisme morbide, en fin de compte, qu’un lecteur nous laisse entrevoir lorsqu’il nous lâche : « Ce que j’aime en lisant ces bouquins, c’est imaginer l’auteur qui se déplace, qui fait son travail de recherche. Je le vois arpenter les rues, prendre des notes pour construire son histoire, ça me fascine. »


Difficile de se faire une idée précise du lectorat du polar du terroir. D’un côté, on assure que c’est une littérature «  d’aficionados… » de la Bretagne, locaux ou expatriés. De l’autre on affirme que c’est plutôt une littérature de touristes. Ce qui est certain, c’est qu’au-delà de nos frontières régionales, les endroits où le roman policier régional marche le mieux sont aussi des lieux touristiques. Pour ce qui est des auteurs et autrices le constat est sans appel… : leurs droits d’auteurs génèrent des compléments de revenus parfois confortables, mais jamais de réel salaire. De ce fait, la majorité d’entre eux sont, si ce n’est retraités, au moins en fin de carrière, ce qui est loin d’être le cas de cette littérature un brin surannée qui fleure bon les vacances à l’Hôtel de la Plage et les soirées au Bistrot du Port.


- Thibault Dugois

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